Un peu plus tard...
Grant Wood, American Gothic, 1930
huile sur isorel mou, 74,3cm x 62,4cm
Art Institute of Chicago
Parce que je ne suis pas assez qualifié pour les fiches biographiques : Wikipedia
Et parce que je suis sympa et que je l'ai fait pour Malevitch :
Toi aussi, brille en société avec Grant Wood
Hé ben y a du challenge ! Et d’une, Grant Wood n’est pas bien connu dans nos contrées, et de deux, sa vie est aussi exaltante que celle de ton conseiller ANPE. Tu devras donc amener le sujet toi-même et à défaut de le rendre intéressant, attraper ta boite à outils de rhéteur pour visser sur sa rareté le projecteur qui te fera resplendir comme une boule à facettes king size.
Amener le sujet : technique du ricochet incongru
Astuce élémentaire du rhétoricien, la technique du ricochet incongru peut être déployée avec la grâce furtive de la panthère comme la lourdeur pataude de l’éléphant arthritique : sa mise en oeuvre ne peut-être décidée qu'après une analyse subtile du contexte. Quelques exemples :
- En désignant un couple renfrogné : «Hé ben, ils ne donnent vraiment pas envie d’aller leur causer. Ils ne sont pas contents d’être là ? C’est dingue, on les dirait tout droit sortis d’un tableau de Grant Wood. Tu connais Grant Wood ?». Attention, ce genre de rapprochement pourra paraître extrêmement téléphoné : insiste lourdement sur la première partie pour bien montrer que penser à Grant Wood est tout à fait naturel pour toi.
- En parlant de l'éventuellement homosexualité refoulée d'une connaissance mutuelle : «Il y en a qui ne reconnaissent jamais leur homosexualité. Prends Grant Wood, par exemple, il a vécu en asexué toute sa vie ! Un père quaker, un oedipe mal réglé, et hop. Tu connais Grant Wood ?».
- Pour marquer ta lassitude devant une scène pastorale, l’école de Barbizon ou tout autre tentative de magnifier un troupeau de vaches : «Non, ce n’est pas ma tasse de thé - ni ma flûte de champagne d’ailleurs» (en levant sa coupe ; embrayer rapidement pour montrer que tu ne cherchais pas à faire un jeu de mot, mais imprimer dans l’esprit de ton interlocuteur que ton intellect danse simplement la chamade et rebondit telle une balle de squash sur les murs de ta culture) «Franchement, quitte à donner dans le trivial campagnard, je trouve le Regionalism (attention à l'accent ! Si défectueux et/ou public anglophone, préférer un plus français Régionalisme) américain bien plus intéressant, bien plus essentiel. Tu connais Grant Wood ?».
Dans tous les cas, termine ton accroche par «Tu connais Grant Wood ?», la phrase qui te permettra de prendre l’ascendant psychologique sur ton interlocuteur.
Mode expert : bois une gorgée de champagne directement après "Tu connais..." et avale un petit four, pour laisser à ton auditoire le temps de convertir son ignorance en honte ("comment ça, tu ne rebondis pas sur Grant Wood ?") mais embraye suffisamment vite pour ne pas lui laisser le loisir de changer de sujet. Attention au timing !
Mode expert : bois une gorgée de champagne directement après "Tu connais..." et avale un petit four, pour laisser à ton auditoire le temps de convertir son ignorance en honte ("comment ça, tu ne rebondis pas sur Grant Wood ?") mais embraye suffisamment vite pour ne pas lui laisser le loisir de changer de sujet. Attention au timing !
Ton interlocuteur ne connaît que Tiger Woods ? Capitalise sur ton ascendant psychologique :
- Si tu as envie de coucher avec ton allocutaire : « T’inquiète pas, personne ne connaît Grant Wood ! En fait, il a produit un tableau hyper connu (n'évoque pas 'American Gothic', qui pourrait faire penser à la belle / au beau que Grant Wood est à ranger du côté de Marilyn Manson), un des plus repris et détournés de l’histoire de l’art américain. Une icône en fait, mais c’est un peu comme le smiley, hein, une vraie icône contemporaine dont personne ne sait d’où elle sort » (il s’agit ici de créer un lien complice, en montrant que tu sais aussi être accessible et bonhomme, parce qu’en fait, on sait très bien que le «Smiley face» est l’oeuvre de Harvey Ball, un illustrateur américain qui a créé la chose en 1963 pour illustrer la com print d’une compagnie d’assurance).
- Si tu as envie d’impressionner ton interlocuteur : « Note que ça ne m’étonne pas hein, la plupart des gens ne connaissent qu’American Gothic » (prendre une gorgée de champagne et attraper un petit four sans le manger, pour laisser le temps à ton destinataire de comprendre qu’il fait partie de «la plupart», ô plèbe infâme !) « Pourtant, le parcours de Grant Wood est très intéressant, très américain quelque part» (avaler le petit four pour instaurer une pause dramatique) «Le gars était un peintre de village, un inconnu total, et blam, 1930, au lendemain de la grande dépression, il te pond l’icône américaine du siècle, l’oeuvre la plus reprise et détournée de l’art américain. Je ne vois que la Marilyn de Wharol pour prétendre à un tel succès, et encore... En fait s’il n’avait été un genre de bouseux fils de Quaker, il aurait probablement signé La success story artistique du siècle». Trouve le ton juste pour à la fois insister sur la majuscule de "La success story" et montrer que le sujet est épuisé, ton auditoire étant définitivement trop inculte pour qu'il soit judicieux de développer.
Aïe, oui, ton auditoire connait Grant Wood : technique de la fuite en loucedé*
Inévitable classique des soirées mondaines, la technique de la fuite en loucedé consiste à dégager le plancher le plus rapidement possible en laissant pourtant croire que non, tu n'es pas un tocard.
- Commencer par descendre très rapidement sa flûte de champagne.
- Lancer l’anecdote qui va bien : «J’ai découvert récemment» (oui, tu passes ton temps à te cultiver) «qu’American Gothic représentait en fait la soeur et le dentiste de Wood. Je n’arrive plus à regarder la toile du même oeil, maintenant ! » Enchaîner très rapidement sur l’étape 3 pour éviter d’avoir à développer.
- «Je vais me reprendre une coupe, je vous en ramène une ?». Fuir, vite.
* L’expression «en loucedé» ne date pas d’hier ni n’appartient à la fantasque culture des «técis» : elle remonte en fait à l’argot des bouchers parisiens et lyonnais de la première moitié du XIXe, le louchébem, lequel s’appuie sur un processus de création lexicale proche du verlan ou du javanais. Un petit paragraphe qui doit tout à cet intéressant article de Wikipedia.
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