jeudi 23 février 2012

Généalogie de la création, #3 - Francis Bacon


Des années après...


1971
Huile sur toile, 35.5 x 30.5 cm
Musee National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris



Pour t'éviter d'avoir à taper Francis Bacon dans Wikipedia.

Et parce que ça fait déjà deux fois que j'essaie de t'aider, ami lecteur, je vais charitablement continuer sur ma lancée. Sans compter que ça m'amuse :

Toi aussi, brille en société avec Francis Bacon

La vie de Bacon est fournie en points d'accroche et anecdotes exploitables. Pêle-mêle, car ce n'est pas ce qui m'intéresse ici :
  • Le thème de la jeunesse difficile peut fonctionner : 
    • A 16 ans, son père le chasse de chez lui après l’avoir découvert en train de s’admirer devant un miroir, habillé des sous-vêtements de sa mère.
    • Sa nanny l’enfermait très souvent dans un placard où le petit Francis criait pendant des heures sans que personne ne l'entende : «That cupboard was the making of me». A sa mort et en dépit de sa fortune, Bacon habitait un petit deux pièces à Londres. Il avait bien essayé d’acheter des appartements plus grands, plus confortables, mais ne supportait pas d’y vivre et revenait toujours dans plus petit, plus serré. Le trauma d'enfance, ça trouve toujours public. 
  • La généalogie de la création, la vraie, saura intéresser si bien tournée : en 1935, il achète à Paris un livre illustré sur les maladies de bouches qui le hantera toute sa vie et est une vraie clef de lecture de ses oeuvres jusqu'aux années 60’ (et de rebondir sur le fait que comprendre les plus grandes oeuvres, c’est souvent connaître les plus petites anecdotes) 
  • Le détail footballistique peut également faire mouche, pour peu que ton public soit un minimum amateur : le prix record pour un Bacon (55M €, pour Triptych 1976) a été allongé par Roman Abramovich, le milliardaire russe propriétaire de Chelsea (également collectionneur de Lucian Freud). Une preuve que l’on peut être à la fois fondu de football et de peinture. Tu étaieras avec Nicolas de Staël, bouleversé après avoir vu, en 1952 avec René Char, un France-Suède au Parc des Princes. Char auquel il écrira peu après : «Entre ciel et terre sur l'herbe rouge ou bleue une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle joie! René quelle joie! Alors j'ai mis en chantier toute l'équipe de France, de Suède et cela commence à se mouvoir un tant soit peu...». De Staël étant d’origine russe, tu rebondiras amusé sur l’invraisemblable tropisme Russie / Foot / Peinture.  

Etoffe toi-même ton discours ! Ici, ce ne sont pas quelques contenus sélectionnés pour leur imparable éclat que nous avons envie de te proposer, mais un ensemble de recommandations et de mises en garde qui te permettront de naviguer entre les Charybde et Scylla du peintre irlandais : son prénom et son nom. 

Ok, c’est inutilement mystérieux, mais me lirais-tu, lecteur, avec l’enthousiasme que je devine si je ne ménageais pas, de temps à autre, une petite pointe de suspense ?


Eviter de passer pour un crétin

Attention, donc ! Avec Francis Bacon, tu pourras être révélé dans ta véritable nature de fat inculte avant même d’avoir pu lancer avec l’élégance crâne du pêcheur hawaïen les harpons de tes éléments de langage. Ainsi, après avoir attaqué d'un puissant «Tu connais Francis Bacon ?», tu te verras peut-être retourner un «C’est un philosophe, non ?». 

Ah ah ah ? 

Non, non, non, ravale tes rictus, mon ami ! Tels les trains proverbiaux, un Bacon peut en cacher un autre ! Francis Bacon - que nous désignerons ci-après par le pratique sobriquet de ‘Senior’ - était un philosophe anglais du XVIe siècle, qui a posé les premières pierres de l’empirisme et de l’épistémologie (la science des sciences, pour le dire avec la grossièreté qui sied à ce genre d’article). A moins que tu ne fraies abondamment avec des sorbonnards zélateurs de Comte, Russell ou Feyerabend, crois-moi, tu n’as guère besoin d’en savoir plus.

Si l’homonymie est l’ennemie naturelle du name dropping, en tirer parti est la marque de l’expert en chatoiement mondain. Ne serait-il pas désespérément terne de recadrer sur ‘Junior’ d’un simple «Non, je te parle du peintre du XXe» ? Outre d’étaler un manque patent de style, tu laisserais croire à ton allocutaire que, bloody hell, ta connaissance du XVIe philosophique anglais ne vaut pas tripette ! Selon la nature de ton auditoire, de nombreuses réparties sont envisageables ; par souci d’économie et pour ne pas te lasser, volage lecteur, alors même que nous te promettons du pratique et utile, nous n’en étudierons qu’une :
«Ah, ah, tu m’impressionnes, la plupart des gens ne connaissent pas ce Bacon là ! Ok, fais un bond de 400 ans, quitte l’Angleterre pour l’Irlande, passe de la plume au pinceau, garde l’homosexualité plus ou moins scandaleuse, rajoute une bonne dose de noirceur et tu obtiens l’homonyme dont je te parle.»

Te laisseras-tu tromper par l’apparente simplicité de ce paragraphe ? S’y articulent pourtant deux incontournables méthodes rhétoriques : la technique de la pseudo-flatterie préparant le terrain pour la cavalerie de la convergence savante. Hé oui, pour avancer sur le chemin du polish de réception, deux bottes ne sont pas de trop.* 

Passons en revue les étapes clefs du déploiement de ces deux méthodes : 

1. «Ah, ah, tu m’impressionnes»
Première étape de la pseudo-flatterie, consistant à faire croire à ton interlocuteur que, mais oui, tu le trouves vraiment intéressant et que tu ne le prends pas de haut : il n’en sera que plus engagé dans la discussion et plus disposé à te laisser déployer tes projecteurs. Attention au ton, que l’on voudra tout en franchise bonhomme.

2. «la plupart des gens ne connaissent pas ce Bacon là !»
Etape deux : après l’avoir mis en confiance, tu lui laisses entendre que tu es philologue amateur, que tu as eu bien souvent l’occasion de causer de Senior et Junior, bref, que tu maîtrises bien mieux que lui le sujet. La flatterie initiale prend tout son sens, désamorçant subtilement le soupçon de condescendance et ou de fumisterie qu’à défaut, la seconde partie pourrait éveiller. 

La technique de la pseudo-flatterie, on le voit**, dispose à la sympathie et te permet de prendre ce fameux ascendant psychologique dont nous parlions dans notre précédent article. La cavalerie de la convergence savante, puissante, éreintante, va te permettre de capitaliser sur cet avantage :

3. « Ok, fais un bond de 400 ans, quitte l’Angleterre pour l’Irlande, passe de la plume au pinceau, garde l’homosexualité plus ou moins scandaleuse, rajoute une bonne dose de noirceur et tu obtiens l’homonyme dont je te parle.»
Taïaut ! Le ton est complice, le rythme soutenu : en s’appuyant sur trois infos préparées en amont, tu donnes à croire que, de but en blanc et par simple jeu, ta culture et ton esprit sont si vifs qu’ils détaillent à l’envie les biographies en similitudes, coïncidences, convergences. 

Fiat lux ! La victoire est acquise, quand bien même elle t’aura coûté quelques recherches préalables : l’homonymie, ça se travaille.


Gérer les jeux de mots 

Que la conversation dérive naturellement sur Bacon ou que tu amènes le sujet d’un ricochet incongru à l’innocence travaillée (cf. Toi aussi, brille en société avec Grant Wood), tu tomberas inéluctablement sur un interlocuteur s’abandonnant à la perche fièrement tendue : du lourdingue «Bacon, c’est de l’art ou du cochon ? Arf arf arf » au plus averti mais non moins pathétique «Moi, le Bacon, je préfère l’avoir dans mon assiette que dans mon salon ! Hu hu hu», l’éventail des jeux de mots est malheureusement large et tente le chaland. Avant de détailler un projet pratique de protocole de réponse, il convient de souligner que : 

  • Si ton interlocuteur s’enthousiasme pour jeux de mot si indigestes***, il n’est vraisemblablement pas familier de Francis Bacon (ou, plus rarement, démontre qu’on peut être amateur de bonne peinture tout en gardant son âme de gros lourd d’enfant). Une faiblesse dévoilée dont tu tireras évidemment parti.
  • Un jeu de mot est, avant tout autre considération, un geste de communication. Si tu veux vraiment progresser dans la pavane mondaine, tu garderas à l’esprit que l’indifférence - au calembourg ou à n’importe quoi d’autre - ne t’es plus permise. La société est, à son plus essentiel, un tissu d’échanges informatifs**** : l'indifférence, c'est le sapement de ses fondations. Comment briller sur une scène dont on ôterait les planches ? 

Revenons à nos moutons : on vient de te faire un sacré jeu de mot, dis donc dis donc, ah ah ah, qu’est-ce qu’on se marre, tiens reprends une flûte... et tu hésites sur l'attitude à adopter. Cette fois, tu devras impérativement adapter ta réponse à ton auditoire. En riant à une plaisanterie, tu montres en effet que tes structures de pensées y trouvent leur compte : par conséquent, plus le mot d’esprit est gras, plus tu es en terrain glissant... 

  • Tu es en tête à tête et tu apprécies sincèrement ton interlocuteur :
    Assure-toi que personne à la ronde n’a rien entendu et rigole de bon coeur (mais sans en rajouter, de manière à ne pas encourager ton amuseur à remettre ça), avant de forcer la pause petit four / remplissage de flûte qui te permettra de repartir sur le terrain de ton choix. 
  • Tu es en tête à tête et tu te fous comme de l’an mil de ce pénible humoriste :
    Souris poliment et applique la technique de la fuite en loucedé : tu as définitivement meilleur public à éblouir.
  • Tu es dans un groupe, qui se marre comme un seul homme :
    Ris toi aussi, mais abandonne le sujet. Si un recadrage vers du plus sérieux aurait pu fonctionner dans l’intimité d’un tête à tête, il n'en est rien devant une assemblée, dans laquelle de surcroit, d’autres pourraient tenter leur chance à la loterie de l’humour : ton plan Bacon est complètement cuit.*****
  • Tu es dans un groupe et la blagounette tombe à plat :
    Embraye, et vite : l’humoriste te saura gré d’avoir abrégé le calvaire d’un silence plombé, et le reste de ton auditoire de ramener conversation dans une finesse plus à propos. 


That's all folks !


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* Une bonne paire de pompes ne gâche rien non plus : toi qui entres ici, abandonne tes désespérants godillots 10 ans d’âge. Ou paies-toi du cirage. Enfin bref, fais quelque chose ou reste terne.
** Tu as tiqué, toi aussi ? Hé oui, les «on le voit», «il est évident que» et autre «chacun sait que» appartiennent à la plus grossière des rhétoriques. En période électorale, étoffés de «les français savent bien que» et de «j’entends les électeurs, sur les marchés, dans les usines, qui me disent que», ils se multiplient comme des vers sur le cadavre de l’honnêteté et me font inlassablement soupirer devant nos tristes hommes et femmes politiques.
*** Hu hu hu !
**** Adorno ? Weber ? Nenni ! Du pur Daryl. Autant dire que, sociologiquement, ça ne vaut pas grand chose. Mais bon, c’est bien tourné, non ?
***** Qu’est-ce qu’on rigole ! Raymond Devos, sors de ce corps !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Article brillant !